ESSAIS ET ARTICLES
ESSAIS ET ARTICLES
Prendre soin d’un enfant protégé :
Comment les services de la protection de l’enfance contribuent-ils à la santé mentale des enfants qui lui sont confiés ?
Le texte qui suit est une version corrigée et augmentée de l’intervention faite aux journées de L’O.P.P.E. (Observatoire Parisien de la Protection de l’Enfance) le 1er avril 2022 sollicité comme pédopsychiatre, chargé de mission à la cellule santé du pôle parcours de l’enfant de l’A.S.E de Paris.
J’ai multiplié les notes de bas de page, comme une sorte de filigrane[1] et comme autant de thématiques à mettre au travail.
Position et complexité du problème, et bien au-delà
Dans cette intervention du 1er Avril, il s’agissait de montrer, mais aussi de « faire droit » à l’importance de la contribution des équipes des services de la protection de l’enfance à la santé mentale des enfants « confiés ».
► Nous nous appuyons sur l’affirmation paradoxale de Winnicott qu’un « placement » est thérapeutique, de telle sorte que la question des articulations avec le « sanitaire » (psychiatrie et pédopsychiatrie) s’invite dans la réflexion. C’est un grand sujet d’actualité. On peut facilement convenir que cela revient à reprendre la réflexion sur la place respective du Care (prendre soin) et du Cure (soin) en rêvant à de nouvelles collaborations.
De manière un peu caricaturale, l’enfant et l’adolescent relèveraient du sanitaire pour les services de la protection de l’enfance dans les moments où ces derniers se trouvent submergés par l’expression de leur malaise, et du socio-éducatif pour les services de la pédopsychiatrie qui n’y reconnaisse pas les manifestations d’une maladie psychiatrique. Question de contenance pour les premiers et de diagnostic pour les seconds, sur fond de manque de place pour les deux.
Comment les équipes de pédopsychiatrie pourraient - elles prendre toute la mesure de ce travail « éducatif » du prendre soin ou « Care » des équipes qui ont en charge la vie quotidienne d’un enfant ?
Pour les équipes de la protection de l’enfance, comment pourrait-on dépasser les automatismes « il relève du soin » dans l’implicite duquel on entend : « ça ne nous concerne pas » qui parle certes d’une identification à la souffrance psychique mais qui l’exclue en la renvoyant au sanitaire psychiatrique inscrivant le soin comme une alternative à la prise en charge éducative.
L’intérêt de la formule paradoxale de Winnicott : « un placement en institution est thérapeutique » est de mettre ces questions au travail.
► Peut- on dépasser ce qui se présente comme discontinuité juridico-administrative entre le secteur sanitaire et le secteur éducatif ? Probablement pas, tout au plus peut-on en réparer les effets en s’inscrivant dans le vivant des dispositifs.
Protection de l’enfance et psychiatrie partagent l’expérience de la violence des phénomènes d’exclusion et de discrimination [2]. Plus précisément le risque est que « l’enfant protégé » se trouve ravalé à n’être que l’objet des dispositifs [3]… plus ou moins balloté entre sanitaire et social. Un chemin à trouver entre protection de l’enfance et protection de l’enfant.
Confronté à l’angoisse de l’insécurité [4] dans le contexte d’une « dysparentalité » au point qu’il a été nécessaire de prononcer judiciairement des mesures de protection, confronté à la culpabilité dont il aura à se dégager [5], pris dans un conflit de loyauté, il n’en reste pas moins sujet de ce qui lui arrive, qui pose des questions avec les moyens dont il dispose dans une langue [6] qu’il faut souvent traduire, sur son existence, son statut, son avenir, sa place.[7]
Le sanitaire peut-il répondre à son questionnement ? Autrement dit quelle est la place des soins (au sens sanitaire, ambulatoire ou hospitalier) dans ce contexte. Quel travail avec la famille, qui et comment ?
A ce schéma un peu réducteur les professionnels font entendre : la pluridisciplinarité, les réunions de synthèse, l’analyse des pratiques, l’environnement, le contexte, le réseau, la prise en charge globale, la prise en compte des familles, les équipes mobiles. Sans doute cela représente des avancées, mais toute la question est de le penser « dans le corps à corps quotidien » (c’est une métaphore !) qui nous lie et qui les lient à la vie… des institutions. La « clinique de la concertation » ou « l’open dialogue », constituera peut-être un renouveau des pratiques.
Ces questions concernent aussi les représentations de « l’humain », la place respective du neurologique, du biologique, de l’histoire de chacun, des phénomènes d’emprise et d’attachement, des valeurs et des idéologies actives, des environnements culturels et politiques. Bref ce que l’on a dans la tête et ce qu’on nous y a mis.
► Mais faire droit à cette contribution suppose aussi de la replacer dans son cadre institutionnel, (politique et juridique) d’en repérer les implicites[8], la manière dont les institutions et « l’institution » la rende possible ou la pervertisse et enfin d’en montrer les enjeux éthiques.
Nous poserons (de manière très réductrice) qu’une institution est un dispositif qui assure la légitimation (processus) et la légitimité (l’état) de ses déterminations culturelles et leur transmission de génération en génération. Elles passent par la manière dont la société pose à travers le droit les questions de filiation et de l’autorité parentale avec leur traduction sociologique respectives de parenté et de parentalité [9].
En ce sens, l’institution nous préexiste et nous institue dans un réseau dense et complexe d’identifications et de filiations symboliques au-delà ou indépendamment de la filiation biologique. Il est admis que la constitution « artificielle » [10] de l’humain en tant qu’être symbolique est un universel propre à toutes les cultures. Nous voilà au seuil de la question du placement.
En ordonnant le placement d’un enfant, le juge s’appuie sur la fonction performative du langage [11], rend possible et garantit une « place ». Cette décision prend d’autant plus sens lorsque l’on sait que leur place précisément, dans la lignée des générations est en partie restée comme « séquestrée » (ou forclose) dans le rêve imaginaire et narcissique des parents, rêve imaginaire et narcissique dont ces parents ne peuvent ou n’ont pu faire le deuil [12].
Cela suffirait largement à l’argument du placement « thérapeutique » que Winnicott va justifier d’une autre manière, (sur le thème de la fiabilité et donc de la continuité). Se joue là un face à face périlleux et difficile entre les professionnels des différents dispositifs de la P.E. et une situation donnée, pour qu’une « place » de sujet se fabrique. Il nous restera à réfléchir comment la catégorie du placement « dit » à domicile - différent dans la matérialité de la situation - s’inscrit dans cette logique, en s’appuyant précisément sur ce qui apparait comme un paradoxe pour en circonscrire le champ d’application.
Pour un enfant reste toujours ces deux questions : « qui suis-je, et pour qui » ? et « d’où je viens où je vais » ; d’ailleurs, ce sont des questions qui surgissent avec acuité pour chacun d’entre nous à des moments clé de nos « parcours ».
► En faisant droit à l’importance de la contribution des équipes des services de la protection de l’enfance à la santé mentale des enfants confiés, dans ce que nous appellerons désormais un « corps à corps » quotidien avec la réalité psychique d’enfants en souffrance et de leur famille, surtout au sein des établissements, il devient peut-être possible de mieux situer les soins au sens de Cure [13], prérogative des équipes travaillant dans le champ sanitaire. Care et cure sont extrêmement intriqués mais le clivage sanitaire/social constitue une discontinuité majeure. Deux mondes deux cultures qui appellent des transitions et des régularisations à tous les niveaux [14].
Avant de développer notre argumentaire, il nous a semblé utile de faire un détour pas seulement théorique sur le fonctionnement de la pensée autour de la notion de complexité.
La complexité est évoquée ici en référence aux travaux d’Edgard Morin. C’est assez proche de la notion de « complémentarité » [15] qui fait référence aux travaux du physicien Niels Bohr [16], avec laquelle je suis plus familier.
Ce n’est pas vraiment le lieu d’un développement sur la « pensée complexe » ou sur la complémentarité au sens de Bohr ; qu’aurait donc à voir la protection de l’enfance, une supposée « fonction soignante » transversale dont nous parlerons plus loin, la pensée complexe d’Edgard Morin et la physique quantique… ? Quelques mots cependant, sur les fonctionnements dominants de la pensée qui ont tendance à opposer l’éducatif et le soin. On se souvient encore de la violence de la confrontation autour de la question des T.S.A.
On utilise souvent le mot complémentaire, dans les échanges pour parler de partenariat ou de coopération et même de retraite ! Dans le vocabulaire courant on entend régulièrement des termes comme co-construction, co-éducation et même de co-parentalité. Cependant l’idée de « complémentarité » n’apporte pas grand-chose lorsqu’elle se résume à une simple addition des faires et des agirs voire des idées [17]. Il nous semble utile de faire un détour vers la « logique » sur cette question qui dépasse largement la protection de l’enfance.
Le principe de non-contradiction (Aristote) pose l’impossibilité qu’une proposition soit vraie et fausse en même temps.
Le principe du tiers-exclu (tertium non datur) quant à lui impose que toute proposition est soit vraie, soit fausse. En ce sens, il exclut la possibilité d’un espace d’indécidabilité entre le vrai et le faux. Autrement dit toute proposition a une valeur de vérité (0 ou 1) et si, par exemple, elle est vraie (1), son contraire doit être faux (0), par le principe de non-contradiction. Cette logique binaire est le propre du monde numérique à l’origine de la puissance de calcul des ordinateurs, et qu’en « bons animistes que nous sommes restés » on nomme « intelligence » artificielle [18].
C’est ce qui se passe dans la vie et le langage courant et qui met en circulation une idée nécessaire et diffuse de vérité qui a tendance à se « radicaliser » réduisant le langage aux oppositions sémantiques en excluant toute nuance de vérité ou une troisième proposition. La logique du tiers exclu (dite classique) a des effets puissants et structurants sur les croyances humaines individuelles ou collectives ; elle rentre en résonance avec la notion de clivage. Tout le monde a en tête les clivages politiques et la violence que cela génère.
Dans cette logique, la subjectivité serait le contraire de l’objectivité et l’autonomie le contraire de la dépendance. L’individuel s’opposerait au collectif. Le débat politique actuel droite gauche montre l’intrication de l’un et de l’autre.
Pour le corps et l’esprit déjà on sent bien que ce n’est pas aussi simple…Montaigne parlait de la « suture épaisse du corps et de l’âme ». Une « épaisseur de trait » qui laisse une place à un certain degré d’indétermination et d’indécidabilité et ouvre sur une temporalité (les « gens » se plaignent d’être toujours dans l’urgence) et donc sur la pensée.
Et pour arriver au cœur de nos préoccupations : La question du lien et de la séparation dit de manière plus abstraite dans un couple d’opposition sémantique continuité et discontinuité, pourtant complémentaires.
Penser la nécessaire continuité (sentiment continu d’exister qu’assure le « moi » [19]) ou lorsqu’elle est projetée (un peu abstraitement) dans l’idée de « parcours » suppose des mécanismes de régularisation de « reliaison » des discontinuités dans la réalité. La discontinuité représente le vivant [20].
L’un ne va pas sans l’autre : Que serait la vie sans des formes de vie (polis) ou autrement dit l’expérience, le vécu, sans lien avec sa ou une représentation. Il est possible d’y reconnaitre le travail patient de l’éducation (des parents ou des éducateurs) au sens du prendre soin. On comprend bien que pour en sortir il nous faut un autre « topos/espace » pour penser et dépasser cette aporie (impasse logique) pas seulement sémantique.
Pour penser l’humain il faut articuler les contraires. Pour articuler les contraires il faut du « collectif ». Pour faire du collectif il faut du politique et sa machinerie mythologique, qui a pris ces lettres de noblesse sous la figure de l’anthropologie.
Mais qu’est-ce que le politique ? Difficile de formuler quelque chose à ce sujet dans ce travail pas plus que l’on ne pourrait s’étonner d’y voir surgir le terme.[21]
De manière un peu réductrice, cette non prise en compte de cette « aporie » [22] constitutive de la « mécanique mentale et cognitive », constituerait une sorte, d’évitement, d’effacement voire de forclusion, qui pourrait être à l’origine des phénomènes de répétition dans les institutions (transgressions, ruptures de prise en charge traumatiques [23], violence individuelle et/ collective, une contraction du temps nous précipitant dans l’urgence). Le recours aux réponses toute faite empruntées sur le marché des croyances, les postures plus ou moins idéologiques, deviennent la règle.
Trouver une issue construite à cette impasse, c’est confier à la valeur de vérité du prendre soin dans le quotidien conflictuel et « raboteux » du travail éducatif où les mots et les discours circulent entre les individus, sont incarnés, partagés et intriqués dans l’implicite et l’explicite des échanges affectifs, sensibles et parlés[24], ce que j’appelais plus haut un « corps à corps » quotidien.
Pour en finir avec cette digression, il s’agit de fabriquer de la continuité mentale à partir de la discontinuité des expériences en construisant de la continuité sociale, institutionnelle, à tous les niveaux. La culture en somme. On verra en quoi l’idée de référence éducative constitue un aspect de cette « continuité ».
Développement
Un dispositif de la protection de l’enfance (Établissement, placement familial ou secteur) n’est pas inscrit en effet dans le champ sanitaire, mais nous avons posé que ces dispositifs de la protection de l'enfance jouent un rôle considérable pour la santé mentale des enfants et des adolescents qui leur sont confiés et de leur famille.
Parler de soin dans le champ social est source de confusion et parfois c’est perçu comme une véritable transgression, le soin étant naturellement associé au sanitaire. Certains y veillent jalousement.
Nous allons faire apparaitre cette contribution à travers :
► L’affirmation de Winnicott, faite à l’occasion d’une conférence prononcée devant l'Association des travailleurs sociaux auprès d'enfants inadaptés, le 23 octobre 1970. (Le Dr Winnicott est mort en janvier 1971) : le placement en institution considéré comme un acte thérapeutique.
► Puis nous verrons comment les propositions d’organisation des services de l’A.S.E à travers les notions de parcours et de référence éducative contribuent à cette fonction de prendre soin, à un autre niveau.
► Et enfin pour dépasser le cloisonnement, nous chercherons à définir une « fonction soignante » qui serait transversale aux dispositifs sanitaires, sociaux et médicosociaux, et plus largement (Politique de la ville associations « citoyennes). Pour ce faire nous allons nous appuyer sur la notion du « Care anglo-saxon » que l’on traduit par « prendre soin » pour se différencier du champ sanitaire.
Mais déjà :
► La définition de la santé de l’OMS[25] va dans le sens du décloisonnement. Il est question de santé publique. Le terme santé mentale, contribue à maintenir une certaine ambiguïté.[26]
► Cette idée de décloisonnement était déjà très présente avec l’organisation territoriale dite de « la sectorisation psychiatrique » (première circulaire en 1960) … dans le prolongement de laquelle nous sommes encore un peu, où la maladie mentale n’était plus pensée sur le modèle de la maladie organique, c’est-à-dire tout entière contenue dans le sujet. L’environnement social prenait une importance majeure ; c’était en quelque sorte une « écologie psychiatrique » avant l’heure ; la prévention devenait possible, c’est pour cela que l’on trouve des C.M.P.s « sur les territoires ». Ainsi posé, cet imaginaire de la maladie mentale, rompt aussi avec une vision exclusivement individuelle et individualisante, psychologisante du fonctionnement mental. C’est un « sujet » théorico-pratique en soi [27].
En défendant l’idée d’une « fonction » soignante transversale aux différents champs disciplinaires, y compris l’éducation nationale, les actions et les activités de la vie civile, on introduit un peu de complexité, gage finalement de fluidité dans le développement des prises en charge ; une sorte de décentrement ou de pas de côté. On peut appeler cela une disjonction entre statut et fonction [28] ; un écart. On n’ignore pas les puissantes résistances que cela produit. Je renvoie à J.F. Billeter qui rêve d’un discours de la méthode à la Descartes [29], qui nous enseignerait non pas comment accéder à la certitude mais comment se maintenir dans l’incertitude qui rend la pensée mobile et créatrice. C’est bien vrai et sympathique. Mais on a besoin de certitudes et de repères fussent-ils provisoires ; l’un ne va pas sans l’autre. O pourrait rêver « d’une sorte de mais comment se maintenir dans
A) Winnicott
Comme je l’ai dit, Il s’agit de comprendre l’affirmation de Winnicott : « Le placement en institution considéré comme un acte thérapeutique ». Arrêtons-nous un court instant sur le contenu de son article : Il attire notre attention sur trois choses :
►L’humilité que tout spécialiste doit avoir devant le travail réalisé au quotidien au sein des foyers : « Il m'apparut qu'un garçon (ou une fille) en thérapie individuelle a besoin, après ses séances, qu'on s'occupe de lui (ou d’elle) …
►La fiabilité, la confiance : « La fiabilité est thérapeutique, on constate que la plupart des enfants relevant d'un placement en foyer ont été élevés dans un environnement chaotique » … fait d’imprévisibilité : « L'imprévisibilité signifie qu'ils s'attendent continuellement à vivre une situation traumatique et qu'ils cachent la partie centrale sacrée de leur personnalité quelque part où rien ne peut ni lui faire du bien, ni lui faire du mal ». On peut s’étonner de la formulation de Winnicott sur cette partie centrale sacrée. Il me semble que les lignes d’Octave Mannoni permettent d’en saisir l’essence et anticipe sur les enjeux de la référence : « … moment de l'enfance où la parole entendue était encore pure littéralité[30] [...], elle nous promet un sens, sans jamais tout à fait le donner ». Or répondre au nom est l'une des toutes premières entrées dans le langage. Tout nom propre en garde quelque chose.
►La confusion mentale : « Cette grave confusion mentale recouvre le souvenir d'une angoisse impensable, ressentie au moins une fois, lorsque le noyau central du self a été atteint et blessé »[31]. Cette angoisse impensable, « est virale » et diffuse au sein des équipes faisant régulièrement retour sous forme de métaphores physiques : « c’est lourd » … « on étouffe » avec des plaintes autour de la fatigue[32] qui montre comment les « soignants » (au sens de ceux qui prennent soin) présents au quotidien sont affectés dans leur corps comme lieu de l’indicible[33]. C’est par le jeu des lieux et des places différentes et des échanges implicites et explicites au sein du collectif que cette angoisse peut être métabolisée (élaborée), transmise et partagée.
En l’absence de « faisant fonction » de contenant de pensée (qu’assure le collectif), le corps prend le relais par des agitations, des crises, des phénomènes psychosomatiques, (perturbation du sommeil) que Winnicott décrit de la façon suivante : « chute sans fin, morcellement, désorientation, etc. Les enfants qui vivent avec ce souvenir sont différents de ceux qui, parce qu'ils ont reçu des soins suffisamment bons au début de leur vie, ne sont pas obligés de faire constamment face à cette menace cachée ».
« Dans les foyers d'accueil, la fiabilité[34] humaine finit par atténuer le sentiment d'imprévisibilité très profondément ancré pour certains enfants ». C'est en cela que ces placements sont thérapeutiques.
Tel serait ce que j’ai compris c’est-à-dire un peu « bricolé » de la pensée de Winnicott…
B) Les notions de parcours et de référence éducative
Nous faisons donc « référence » - précisément - au guide de la « référence éducative » de Paris et nous nous appuierons sur le choix fait explicitement de distinguer la référence de parcours et la référence de proximité ; au-delà des missions respectives déclinées de l’une et de l’autre, et de leur chevauchement, nous essaierons de montrer comment cette « organisation » bien coordonnée, pourrait affecter positivement le « destin » des enfants dits protégés. Le chemin est encore long.
Un groupe de travail pourrait en décliner utilement les conséquences pratiques en termes de formalisation, d’outil de « pensée », de fonctionnement (groupe de paroles) voire de certains principes d’organisation des cadres de travail.
La notion de référence.
Quelques considérations linguistiques et anthropologiques
La logique générale de la référence c’est : Aucun objet n'est en lui-même un sujet ; il le devient par le langage dans lequel on parle de lui et qui « l’individualise ». Pour l’enfant, c’est donc le passage d’un statut d’objet où il a été plus ou moins assigné [35] à un statut de sujet.
Être humain, c'est être nommé/parlé et bien vite parlant. Pour bien prendre la mesure de cette question qui peut paraitre tout à fait banale, passons par son contraire : « l’anonymisation » par le matricule dans les bagnes et les camps de concentration, (lieux de suppression des libertés) assure bien une référence unique dans la « délocution » c’est-à-dire en parlant de quelqu’un en évoquant ses caractéristiques, ses actions ou ses propos, mais rompt le lien d'identification généalogique et social. Le nom c’est comme un visage.
La dépersonnalisation que cela produit est compensée, entre « les porteurs de matricule », par l'usage tantôt des noms personnels, tantôt de surnoms ou de sobriquets[36] qui attestent « le pouvoir créateur et de résistance de la subjectivité ». C’est probablement en groupe, dans la répétition de ses bêtises et ses jeux « incessants » et ses expériences intersubjectives que l’enfant placé (ou non) retrouve des éléments de personnalisation notamment à l’école avec d’autres enfants. C’est parfois au détriment de sa sécurité et parfois dans des scénarios difficiles à comprendre (humiliations, destructions, violences, mise en danger, érotisation, harcèlement etc…) mais en tout cas très loin de ce que nous rêvons pour lui. [37]
Ceci pour dire que d’une certaine manière, l’insistance répétitive des bêtises et les transgressions, parfois pénibles et fatigantes voire dangereuses, il faut bien le dire …sont comme des battements de cœur et des respirations… des expériences et des fictions vitales pour sa survie psychique.
On peut commencer à toucher du doigt les enjeux et les dérives possibles du travail dans le champ de la protection de l’enfance et donc l’intérêt de la notion de référence incarnée. C’est avec la notion de langage « performatif »[38] et d’identification que l’on va approfondir cette notion.
La référence en termes d’identification peut être soit directe, lorsqu’on s’adresse à l’enfant ou inversement lorsque l’enfant s’adresse à l’adulte (repéré) soit indirecte, le nom assurant la référence pour parler de quelqu’un à quelqu’un. En faisant du nom un nom propre l’identification concerne désormais la place (donc la singularité) qu’occupe l’enfant dans le système parental ou social en termes de position de statut à travers un discours. C’est cette dernière qui serait l’objet peut-être plus spécifique de la « référence de parcours ». [39]Pas si simple.
Il convient de distinguer « nommer » (acte) et « faire usage » d’un nom.[40] Une personne a en quelque sorte plusieurs noms dont un plus vrai, plus caché, plus sacré » [41]. Dans tous les cas, le nom apparaît comme le garant intersubjectif de la reconnaissance de l'être, de sa singularité, de l'essentialité et de la position de chaque sujet parmi les autres.
C’est aussi un des premiers « acte d’insertion » par où le sujet réel est introduit à l’ordre symbolique. L’emprise est telle qu’il existe un seuil d’indétermination (« une épaisseur de trait ») qui permet de dire tout aussi bien que le sujet porte un nom ou que le nom porte le sujet.
C’est autrement dit approcher ou regarder tout un pan de la psychopathologie de l’agir des instabilités motrices de l’agitation angoissée, de la répétition des passages à l’acte et peut-être des troubles des apprentissages comme les vicissitudes de cette insertion qui implique les notions de place, de statut, dans un parcours, dans un environnement mondain où prévaut une éthique de l’agir. Faire.
La notion de parcours.
Sur cette question il n’y a aucune définition ; le chapitre du guide égrène la liste de tous les dispositifs de la protection de l’enfance, de ceux qui prennent en charge la petite enfance associant parfois les parents et plutôt les mères jusqu’aux dispositifs pour les jeunes majeurs. L’usage du terme parcours peut être entendu comme parcours à priori ou à postériori.
Pour nous en l’occurrence, un parcours ça n’existe pas vraiment, ou plutôt toujours rétrospectivement. Autrement dit ça existe parce que nous en parlons. Dans l’après coup donc [42]… Dans l’après coup c’est-à-dire quand ça achoppe « sur le chemin », par l’irruption de désordres psychosociaux, souvent à l’adolescence par des agirs mais aussi plus précocement.
La notion de parcours toute construction rétrospective qu’elle soit, cherche à situer les évènements dans une histoire et de leur donner du sens. Les évènements peuvent être pensés comme symptomatiques (au sens classique du terme comme formation de compromis), mais d’une manière plus générale et surtout pour les adolescents une certaine façon de revisiter une histoire relationnelle familiale [43] et sociale faite de discontinuités, de souffrance, de réminiscences traumatiques et reprendre une route moins accidentée, ou un chemin moins escarpé.
Mais voilà, c’est un passage obligé auquel les professionnels doivent se confronter. Cela permet d’approcher le sens de « l’attaque » des liens, de la violence et de la destructivité de certains enfants ou adolescents à l’encontre de ceux qui au quotidien prennent soin d’eux [44]. Violence et destructivité, passant souvent par une tentative de contrôle ou d’humiliation de l’autre, plus rarement physique, bref marquée par des rapports de domination et d’emprise, de pouvoir sur l’autre, avec le désir de s’en affranchir. Rapport de domination et de pouvoir qui trouve leur terrain de prédilection dans le rapport aux femmes (au féminin), qui soulève là des questions de civilisation, de religion…et d’éducation.
Sans référence à un parcours, impossible d’approcher l'idée même d'histoire, penser la répétition avec ses réponses en miroir et de poser un cadre qui implicite les limites.
Comme pour les adolescents mais surtout pour les plus jeunes c’est un parcours en construction ; tout en construction qu’il soit, c’est à une référence incarnée de parcours d’avoir ce souci que l’enfant puisse se situer dans ce qui lui arrive (qui garantit le lien généalogique et social pour faire pièce au risque d’anonymisation, anonymisation (de fait) aussi dans le confinement de la proximité [45]. On pense ici à l’expérience récente du COVID, aux phénomènes paradoxaux qui ont affecté non seulement des enfants et des adolescents, mais des familles et des populations entières, moins dans la mise œuvre où des gestes « barrières désubjectivants » se sont substitués aux « limites », et dans l’incapacité d’en penser la « sortie », la fin, autrement que par un nécessaire arbitraire (plus politique que scientifique) souvent perçu comme violent ou illégitime.
Bien des agitations et des crises et certaines ruptures violentes de prise en charge serait l’expression de cette confusion de ne pas pouvoir se situer (se nommer, savoir qui et où on est) même dans un contexte de prise en charge riche respectueuse et « bienveillante » [46]. C'est peut-être un aspect particulièrement en question dans l'expérience de la migration et l'immersion dans une culture voire un langue étrangère.
Comment maintenir ce niveau éthique devant le sentiment de déferlement de situations toute plus complexes les unes que les autres. Une vraie question, face à laquelle, sortis de leur cadre les repères ou les outils psychopathologiques prennent le risque de pathologiser, et de psychiatriser les situations [47].
Cela suppose une réflexion plus politique et moins technique sur le travail, la mise en place de lieux de paroles transversaux avec un regard « critique », respectueux du fait institutionnel en lui-même, c’est-à-dire respectueux de « soi-même », plutôt que s’enraciner dans la logique rationalisante, « bonnes pratiques/mauvaises pratiques » clivante, parfois délétère au sein d’un collectif, disqualifiant la créativité et toute dimension subjective.
Ici on aperçoit l’intérêt pour les institutions d’organiser les collectifs en s’appuyant sur la différenciation des places et des lieux : en s’appuyant précisément sur la discontinuité comme expression du vivant dans le quotidien de leur organisation. En créant aussi des groupes de paroles articulés avec la vie institutionnelle sur des thématiques telles que celles que nous avons évoquées, qui ferait recherche continue et implicitement formation. Il ne faudrait pas se contenter de sous-traiter ou d’exporter la « vie même » de l’institution. C’est la particularité du corpus théorico-clinique du champ freudien et de la psychothérapie institutionnelle que d’avoir fait une place à la parole des usagers, et à celle des professionnels comme une pratique de l’institution ni bonne ni mauvaise.
La référence éducative :
Il me semble que la « fiabilité » mise en avant par Winnicott, s’appuie sur deux dimensions très intriquées, avec des variations dans le rapport de l’une avec l’autre ; « complémentaires » donc.
►La première : l’inconditionnalité qui renvoie au non contractuel, au « commandement », à un ordre donné, à l’arbitraire, « ça ne se discute pas » comme fait de langage, mais qui « pose » et qui « fonde » [48]. Autrement dit ce qui a un commencement, une origine, seul moyen de penser le temps et de s’inscrire dans une histoire.
►La seconde, la conditionnalité qui renvoie au contractuel, à la construction d’un espace transitionnel de médiation et d’échange : le champ d’expression du « prendre soin ». Espace transitionnel qui est un cadre intersubjectif, systémique et donc sans limite interne ; son « existence même » suppose cependant quelque chose d’irréductible d’hétérogène qui renvoie à cette formule : « tout n’est pas contractuel dans le contrat ». De la même façon l’inconditionnalité suppose un espace de médiation pour que le « trait de coupure » et que le « commandement » puisse faire surgir un topos [49]. L’un ne va pas sans l’autre.
L’image d’une « pierre d’achoppement » ou celle de « l’épaisseur de trait » renvoie à un imaginaire sans doute différent mais indique l’une et l’autre une limite de notre appareil à penser les pensées ou d’une limite de la « puissance de la pensée » comme support d’une altérité possible.
Penser le manque… c’est ce que revendique « violemment » certains enfants à un moment de leur parcours… à ceux dont il est souvent dit que l’on leur a tout donné, mais ceux aussi à qui on a tout fait. De ce point de vue par exemple les addictions de tout poil, et leur multiplication dans la diversité nous enseigne sur ce point d’aporie « culturelle ».
Référence de parcours, parcours nommé, raconté régulièrement en présence d’une personne identifiée permet de se penser, d’imaginer, de se situer dans ce qui nous préexiste et de se projeter en tant qu’individu singulier capable d’accéder au genre… Comme nous l’avons vu et ça mérite d’être répété : c’est une pièce maitresse en ce qu’elle fait obstacle aux effets d’anonymisation de la référence unique, ou délocutoire, ce qui se produit régulièrement lorsque le prendre soin ne s’appuie pas sur un cadre plus large même dans l’accueil familial, aussi bienveillant soit-il.
Il me semble que la différenciation entre proximité et parcours fait sens pour les problématiques spécifiques des enfants protégés. Reste à la mettre en musique.
Au risque de nous répéter, et en reprenant une formule consacrée par le mouvement de la psychothérapie institutionnelle, il faut deux jambes à la protection de l’enfance pour assurer le déséquilibre permanent de la marche. A la marche ainsi vue comme déséquilibre permanent est associée souvent la pensée au sens de la « capacité à rêver » de Bion et sa traduction neurophysiologique oscillatoire du « Mind Wandering ».[50]
La première que j’ai nommé l’inconditionnalité [51] associé à la référence de parcours va incarner la garantie intersubjective de la reconnaissance de l'être, et une place à un sujet de droit. Elle perpétue l’acte d’insertion par où le sujet réel est introduit à l’ordre symbolique. Ce serait le juridique/politique.
Nous l’avons déjà dit, l’agitation, les crises, mais aussi les transgressions constitueraient l’achoppement de cette « insertion ». Notons que cet achoppement n’est en rien de nature pathologique (une question de mesure) ; il est le moteur de la vie et nécessite toujours plus ou moins d’accompagnement ; d’ailleurs l’insertion occupe des milliers de professionnels…qui interviennent dans de nombreux dispositifs car l’insertion en effet s’accompagne.
La seconde conditionnelle que j’ai associé à la référence de proximité – contractuelle intersubjective dans laquelle sans référence à l’institution, il est possible de s’enfermer avec le risque de ne pouvoir s’en dégager que par une violence sans mot et sans représentation. C’est probablement une des clef d’analyse des situations de ruptures violentes et des nombreuses difficultés éducatives du quotidien qui les précèdent mis à la va vite dans la catégorie un peu fourre-tout des troubles de l’attachement.
C) La fonction soignante : Le Care anglo-saxon : prendre soin
D’abord une définition
Le Care, c’est-à-dire le prendre soin, c'est un terme anglais sans équivalent en Français au moins en un seul mot. Il renvoie à plusieurs notions (dont la notion de justice) et notamment celle du soin.
- avec l'idée du -souci de-, de se « pré-occuper » de se sentir concerné, qui crée la proximité qui reflète des attitudes et des postures "morales subjectives" une sorte de capacité à rêver et à penser l’autre[53]
-inséparable d'une activité et d'un travail pratique, au quotidien qui nous parait bien coïncider avec l'activité d'une équipe accueillant des enfants et des adolescents relevant de la protection de l'enfance.
Dans "prendre soin", il y a prendre (métaphore physique) qui renforce l'idée de son ancrage dans les activités éducatives "ordinaires ». J’ai souvent parlé de corps à corps dans le quotidien.
Le Care anglo-saxon suppose un renversement des valeurs, où celles de l'efficacité, de la force, de l’action et de l'autonomie pourrait un peu céder le pas à la vulnérabilité de tous, à la reconnaissance de notre dépendance aux autres, au monde intérieur…
Valeurs pas forcément bien cotées en bourse ce qui permet de mieux comprendre que les métiers du prendre soin sont plutôt sous évalués.
La dépendance et la vulnérabilité constitue le point aveugle d’une société orientée par une éthique de l’agir. Un aveuglement couteux.
Le prendre soin nous ramène sur le "sol raboteux" de l'ordinaire. (Wittgenstein)
A propos de la clinique.
Toujours dans l’idée du décloisonnement
1) On peut convenir que la population des établissements à caractère social rentrent dans le cadre des « souffrances narcissiques identitaires » ce qui les rapprochent de ce point de vue des « pathologies narcissiques identitaires » (dysharmoniques et/ou psychotiques) ; où est la ligne de partage ?
2) Il est question ici de trouver des outils pour penser à ce qu'il est souvent convenu d'appeler "manifestation ou comportement limite" qui peut être considéré comme la marque transmise d'une expérience psychique sans doute "traumatique" mais en tout état de cause "inassimilable", que décrit Winnicott, dans la crainte de l'effondrement : un envahissement par un impensé, une expérience agonistique, et les désordres anxieux à forte expression comportementale et physique qui l'accompagne.
Chaque jour les équipes sont confrontées à la manifestation de ces expériences agonistiques qui appelle les agirs de toute sorte souvent nommés "Crise" avec l'affect rageur qui accompagne la confrontation à l'impensé. Certains parlent de noyau psychotique. Mais l'impensable est « de structure » (Réel Lacanien) moteur (logiciel) de la vie mentale...et la fonction du récit, de la narration, peine à restaurer le sentiment de la continuité psychique, sans la présence réelle des « care-givers ». Les équipes savent que c'est dans le quotidien que de tels échanges sont possibles dans le flou incontournable et nécessaire entre le vrai et le faux, dans l'intrication du passé et du présent, entre l’actualité incandescente de la discontinuité de l'expérience et la construction laborieuse d'un récit pacificateur qui restaure en partie un certain degré de continuité et de sécurité intérieure. Il n’y a pas d’autre alternative que de s’appuyer sur la solidité du collectif et d’en prendre soin.
Redonner une valeur au collectif dans le contexte d’un discours dominant, individualisant les compétences universitaires et diplômées et les responsabilités médaillées.
Rappelons que l'évènement traumatique est réel en tant qu'évènement mais imaginaire en tant que traumatisme.
A propos de la Famille
Ces questions très complexes où s’intriquent les deux logiques nous amène sur le terrain de la famille. Les coopérations qui s’engagent entre les différents protagonistes - référents de parcours et de proximité et des dispositifs sanitaires et autres, se font dans « l’ombre de la famille » ce qui suppose que chaque place soit sinon définie une fois pour toute, inlassablement pensée et parlée.
Pourquoi l’ombre de la famille ; l’idée c’est de dire que les conflits et les tensions au sein des institutions parfois très puissants sont presque toujours le reflet des premiers liens, des premières articulations, des premières emprises au sein de l’environnement dans lequel l’enfant a vécu plus ou moins longtemps : je n’ai pas d’autre terme que celui de « famille » auquel il faudrait adjoindre l’histoire. Qu’elle soit présente absente opposée intrusive, la famille est toujours là. De ce point de vue, la répétition sera inéluctable comme un passage obligé pour mettre en travail le prendre soin. Tout le problème est de pouvoir en faire la lecture, dans un parcours. C’est à l’organisation du collectif et ses valeurs (réunion, dynamique de la hiérarchie et des synchronies, places différenciées des uns et des autres, statuts et fonctions, reconnaissance mutuelle) qu’il revient de prendre soin d’une institution affectée comme une personne.
A cette compréhension didactique de l’institution j’ajouterais les concepts d’ambiance, de confiance dans les relations réciproques qui contribuent à construire « une contenance psychique » ou pour reprendre les mots de Winnicott plus de fiabilité. Des dispositifs en lequel des enfants et des adolescents et des familles peuvent commencer à croire, pour pouvoir croire en eux-mêmes.
Cette réflexion va très au -delà de la santé mentale des enfants protégés. C’est une école… de la complexité du lien.
L'expérience de cette confrontation nous enseigne sur l'énigme du lien social et plus largement nous éclaire sur les impasses sociétales de nos paradigmes. "A mes patients qui ont payés pour m'instruire" écrit Winnicott dans la dédicace de Jeu et Réalité [52].
Conclusions
La rationalité nous aliène dans la logique classique du langage dite du tiers exclu.
La pensée complexe ou la complémentarité pourraient rééquilibrer cette puissante et efficace logique qui supporte les sciences de la nature (dite exactes), mais qui a colonisé les sciences sociales.
Elle remet en scène ou redonne une valeur à la dimension, du conflit pour les psychanalystes, du contradictoire et du procès pour les juristes comme moteur de la vie mentale politique et sociale.
L’importance d’un travail avec les familles, travail trop souvent découpé, sous-traité, déplacé des lieux du quotidien concerne en fait l’articulation entre référence de parcours et de proximité qui fait – en son absence – le lit d’une répétition de la maltraitance très toxique et une place à une offre parfois très commerciale et complaisante.
Refonte de la Présentation O.P.P.E du
1er avril 2022
Gérard Robin
Pédopsychiatre
[1] Dans l'industrie papetière, un filigrane est un dessin qui apparaît sur certains papiers quand on les regarde par transparence…
[2] Toujours au nom du bien de l’enfant, de son intérêt supérieur et de ses besoins.
[3] « J’appelle dispositif tout ce qui a, d’une manière ou d’une autre, la capacité de capturer, d’orienter, de déterminer, d’intercepter, de modeler, de contrôler et d’assurer les gestes et les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants ». Giorgio Agamben. Lorsque la machinerie des dispositifs se fait plus envahissante et surtout impensée, répétant sans doute les premières emprises, plus qu’un insaisissable, un inappropriable (un ingouvernable au regard de l’actualité) réapparait.
[4] Dans notre univers dit moderne (plutôt menaçant) cette question de la « sécurité » constitue disons une préoccupation anxieuse diffuse à laquelle il est facile de s’identifier mais qui constitue pour Winnicott et Bowlby un aspect déterminant de leur clinique.
[5] Les enfants maltraités – victimes donc – souffrent et parfois sont terrassés par leur culpabilité. Prêts à tout pour protéger « ce noyau sacré » dont parle Winnicott : leur capacité d’aimer. Prêt à tout pour se « racheter » prêt à se donner et à se vendre serait le point de départ d’une compréhension des conduites à risques, la soumission aux plus forts. La culpabilité va avec la honte de soi. L’aveuglement à ne les considérer que comme victimes contribue à l’exacerbation de leur conduites. Comment parle-t-on à ces enfants ?
[6] Langue au sens de langage qui s’adresse à autrui.
[7] Nous essaierons de montrer qu’au-delà d’une approche psychopathologique et psycho-éducative, les questions de statut, le cadre (l’espace ou le topos ?) dans lequel s’exerce le « prendre soin » sont déterminants et conditionnent l’avenir de ces enfants et de leur famille. Ça touche à quelque chose qui a à voir avec la « légitimité » de nos interventions. L’enfant et plus explicitement les adolescents interrogent régulièrement sur ce terrain. Les questions de « référence » prennent tout leur sens. Questions de référence dont on verra leur lien avec le fait que nous sommes parlés-parlants. Peut-être sommes-nous assez proches de la « nature » de ce que nous allons essayer de délimiter concernant la référence de parcours comme un « prendre soin non psychologique ? ».
[8] Nous partons du principe que ces implicites, une sorte de « discours sans parole » sont agissants, et sont source de tensions, de symptômes et d’impasses, pour les professionnels et donc pour les enfants pris en charge. Il s’agit de se donner les moyens de maintenir une certain regard critique sur ce qui anime les pratiques.
[9] Nous espérons dans un prochain travail mettre à jour le sens de l’évolution de la législation, ses paradoxes, et les spécificités de notre culture.
[10] Construction artificielle au sens d’un produit de l'activité et de l'habileté humaine opposé à naturel. Ce qui est créé par la vie sociale, la civilisation, qui n’est pas « biologique ». De cette « dénaturation » il en résulte l’idée d’une identité et d’une place qui se construit plus ou moins facilement, mais à grand renfort de représentations et constructions imaginaires puisée dans l’histoire de chaque famille et de leur environnement culturel. Il resterait de cette « insertion » dans le monde symbolique la trace d’un arrachement et d’un « abandon ». Ce « surlignage » et cette insistance sur les données d’une anthropologie psychanalytique, vise à mettre en perspective les déterminations auxquelles nul ne peut échapper, source d’un certain inconfort, qu’exprime sans paroles les corps fatigués douloureux ou malades. Toute la question est de fabriquer chaque jour un environnement « capacitant » pour chacun, parents enfants et professionnels. « C'est un environnement qui - met en capacité de -, qui est capabilisant, et place les individus en situation de développer leurs compétences (pouvoir d'agir). Il permet aux individus d'élargir leurs possibilités d'action (Falzon 2013) ». Le concept d’environnement capacitant vient de l’ergonomie et du monde du travail en recherche d’une plus grande efficience dans la productivité d’une entreprise. Une piste supplémentaire « une modélisation » où les compétences sont pensées collectivement.
[11] La langue est performative au sens où elle ne se contente pas de transmettre une information mais accomplit des actes en répétant des pratiques ... Pour Searle, le performatif n'est que la façade linguistique de la construction des réalités sociales.
[12] D’une manière très générale on pourrait dire que la maltraitance qu’elle soit psychologique physique ou sexuelle, résulte d’un reste d’impensé dans la représentation de l’enfant par ses parents. Le processus normal d’individuation et de détachement de cette « emprise » réciproque est (pour le public de la P.E.) particulièrement marqué d’ambivalence et de violence, traversé de part en part par le deuil et la « désolation ». Il se trouve projeté au sein de l’institution rendant la rencontre des équipes des services de la protection de l’enfance avec les impasses familiales et le pathos sociétal toujours tendues et hautement complexes. Il est possible de se référer à l’ouvrage de Serge Leclaire : « On tue un enfant ». Formule extrême, mais si proche cependant d’un « on bat un enfant ». Il découle de cette manière de voir plusieurs choses. Les problématiques auxquelles sont confrontées les équipes de la P.E. se trament sur plusieurs générations dont le narratif est amputé de larges séquences. C’est une situation qui est accueillie, c’est-à-dire des liens puissamment dysfonctionnels en totalité ou en partie installés. A ce qui précède s’ajoute tout ce qui concerne la créativité originale et singulière de l’enfant.
[13]Il s’agit de mieux poser les indications face à la mise en place presque systématique. Ce cadre des soins est plutôt bien « défendu » clair et identifié – bien séparé - mais parfois rigide, d’autant que régulièrement attaqué, par les institutions, les familles et par les enfants eux-mêmes ce qui laisse penser que quelque chose assez difficile à formaliser est « en ou au travail ». Poser ce cadre c’est déjà rentrer dans un imaginaire « psy » à laquelle certains enfants ou parents ne sont pas préparés, tout comme de nombreux professionnels de la protection de l’enfance. C’est une démarche qui suppose des capacités réflexives d’une part, que l’enfant s’y sente « autorisé » (cf. conflit de loyauté) d’autre part, et surtout accompagné, c’est-à-dire que la discontinuité des cadres de référence soit pensée assurant (parfois physiquement si cela est nécessaire) un climat de sécurité suffisante comme le souligne plus loin Winnicott, bref nécessitant une certaine « asepsychologie ». "Asepsychologie" est un néologisme emprunté à Pierre Delion comme image médicale de la nécessité d’assurer une asepsie préparatoire à toute intervention invasive en médecine et chirurgie.
[14] J’utilise le terme de régularisation au sens de restaurer une continuité. La cellule santé du pôle parcours de l’enfant peut être considérée comme un des dispositifs collaborant aux articulations entre deux cultures et deux mondes professionnels différents. Nous n’avons en commun que le langage, mais avec des langues différentes.
[15] Voir « Bienvenue sur le site Ubuntupsy » note 3
[16] Niels Bohr Niels Henrik David Bohr est un physicien danois, connu pour son apport à l'édification de la mécanique quantique, pour lequel il a reçu de nombreux honneurs. Prix Nobel de physique de 1922.
[17] D’ailleurs il y a quelque chose d’illusoire à multiplier les points de vue pour se « rapprocher de la « vérité » ; c’est le principe du consensus qui peut avoir la vertu d’évacuer le conflit et le contradictoire à condition que cela reste provisoire. Sa généralisation constitue un réel danger.
[18] Le sujet de l’intelligence artificielle est évidemment passionnant, et il faudra faire avec « la parole des machines ». On pourrait dire qu’autour de la question du calcul ou du calculatoire il y a l’IA non humaine des machines (assez « fabuleuse » Chatgpt) et une IA humaine. Il y a en effet des êtres humains dont les discours procèdent presque exclusivement du calcul dans la relation ; phénomène observable que l’on désigne par « pensée opératoire » en psy. C’est le socle « de la propagande » de la communication publicitaire dans l’économie marchande qui a plus ou moins contaminé la parole et les discours politiques. Certains y trouveront une parenté avec l’hystérie et ses affinités avec la paranoïa. Quoiqu’il en soit, on en connait les effets toxiques…Un problème de fiabilité, de confiance et donc de crédit qui semble se généraliser.
Notez que ce texte n’a pas été fabriquer par une IA !
[19] Le moi freudien de la deuxième topique.
[20] Nous plaçons la discontinuité du côté de la « vie », de l’expérience où corps et psyché s’ indéterminent ; c’est le lieu des agirs, et de l’idée d’activité au sens de Jean François Billeter. C’est aussi le lieu d’une discontinuité radicale entre la vie et la mort qui se cache derrière l’opposition entre enfants et adultes comme le remarque Lévi-Strauss dans le folklore centré sur la figure du Père Noël, dans le « Père Noël supplicié ». Fonction du mythe ou du conte merveilleux qui dans sa fonction même de suture et de voilement exprime cette discontinuité de la vie et de l’expérience.
[21] Donc évidemment pas de réponse ; mais une question. De quelle façon la vie, le vivant, habite-t-il la « polis ». (Le corps social, sous-entendu l’espace imaginaire et symbolique.
[22] Contradiction logique insoluble, une impasse dans un raisonnement procédant d'une logique.
[23] Notons bien que les ruptures de prises en charge ne sont pas en elle mêmes traumatiques, elles peuvent même être utiles voire recommandées lorsqu’une « suture » symbolique est mise en place ; une autre façon de parler de « régularisation » de la discontinuité. Cependant il reste un certain nombre de situations qui ne peuvent trouver des réponses dans « l’ espace » spécifique de l’inconscient freudien, particulièrement les agirs qui seraient comme une catharsis des conséquences traumatiques des intrusions physiques ou psychiques. C’est un véritable chantier à penser.
[24] Cette vision est sans doute proche de l’idée de l’Ubuntu africain.
[25] Est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité.
[27] L’idée de décloisonnement véhicule une valeur très positive et nous ne nous priverons pas de la soutenir. Mais comme toujours il y a une « pierre d’achoppement ». Cette idée porte en elle une sorte de « rébellion » (un peu la même chose que dans le mouvement dit de la déconstruction) vis-à-vis de notre aliénation dans le langage (et plus largement de l’ordre qu’il établit) qui relève implicitement d’une attaque de l’altérité. Toute proposition contient en elle-même sa propre limite. Il y a un côté Baron de Münchhausen qui veut s’extirper des marécages en se tirant les cheveux ; s’arracher les cheveux : tout le monde comprend !
[28] Cette disjonction est une thématique centrale dans le champ de la psychothérapie institutionnelle (statut rôle et fonction) qui soigne qui ?
[29] Voir « Bienvenue sur le site Ubuntupsy »
[30] Proche de la dimension sémiotique du langage.
[31] Cette remarque de Winnicott et son usage du terme sacré pourrait être rapprochée de l’idée de la « rencontre manquée lacanienne » comme discontinuité première, lieu d’un effondrement pour reprendre les termes de Winnicott, avec la répétition qui se donne comme l’ingouvernable dans le champ politique ou comme trauma (très en vogue) avec ses inscriptions neurobiologiques, dans le champ psychopathologique. L’imaginaire de Winnicott est sans doute marqué par les circonstances de la seconde guerre mondiale et les destructions gigantesques provoquées par les bombardements de Londres contrastant avec l’univers chaleureux semble-t-il de son enfance. Pourtant il est sans doute possible parfois que le monde de l’enfance ne s’écroule que dans un murmure.
[32] La fatigue c’est cette sensation physique que l’on ressent quand la psyché est dans l’inconfort.
[33] Indicible serait ce qui ne peut être que lu dans un premier temps.
[34] Étymologiquement fiabilité vient de fides la foi, qui a à voir avec le croire…Le religio affleure… Il est difficile de développer plus avant cette question d’autant plus essentielle que le refoulement du religieux et du spirituel fait retour avec parfois une grande violence.
[35] Cette assignation « plus ou moins intense et prolongée » comme nous l’avons déjà évoqué, caractériserait les enfants confiés/protégés. Elle nous conduirait vers la notion d’emprise présente nécessairement aux premiers moment de la vie, qui se défait progressivement mais qui resurgit et s’actualise dans les relations éducatives. C’est un phénomène souvent perçu comme mauvais car pénible pour les « éducateurs » dans ce que j’appelle le corps à corps quotidien. Ce sont des manifestations qui signent un travail de reprise par l’enfant des liens précoces puissants et indicibles (ou non représentables) tyranniques, qui se projettent sur les éducateurs de la proximité en place de parents imaginaires. Passage obligé (répétition) d’un possible dépassement repérable assez fréquemment au sein des institutions et difficilement accessibles au travail de psychothérapie ou de psychanalyse individuelle, surtout lorsqu’il est proposé habituellement à un rythme hebdomadaire.
Notons que cette question d’emprise, qui resurgit dans des relations « significatives » comme dans un couple pourrait-être une ouverture pour penser les conflits puis les violences conjugales voire certains féminicides. Violences conjugales fréquentes qui font partie du paysage de la protection de l’enfance.
Comme nous l’avons déjà souligné, la « servitude volontaire » de la Boétie en constituerait peut-être un rejeton civilisé.
[36] Un sobriquet est un surnom familier donné par dérision, moquerie ou même affectueusement et qui peut être fondé sur quelque défaut de corps ou d’esprit, ou sur quelque singularité…précisément.
[37] Pour les professionnels comme pour les parents il y a toujours « un reste de rêve narcissique » plus ou moins actif en fonction des situations et l’écho qu’elles produisent. Un reste inaltérable fluctuant ou oscillant peut-être à placer entre « pesanteur, pénibilité » et « élation » joie peut-être.
[38] On parle de langage performatif lorsque « dire c’est faire » (Austin). La langue est performative au sens où elle ne se contente pas de transmettre une information mais accomplit des actes en répétant des pratiques ... Pour Searle, le performatif n'est que la façade linguistique de la construction des réalités sociales.
[39] Notons que dans certaines langues et cultures le nom porte la trace d’une position générationnelle (Ian en Arménien par exemple, Ben en langue arabe ; fils de…). Notons aussi que d’autres cultures n’ont pas besoin d’un appui « papier » pour garantir l’identité et le nom propre et l’état civil ; cela pose la question de la fiabilité symbolique des mots et du langage dans la culture. Une vaste question d’une actualité brulante. Je sais bien que ces références linguistiques ne constituent qu’un bricolage imparfait que des spécialistes pourront reformuler.
[40] De très loin le langage ne se réduit pas à n’être qu’un simple outil de communication. Considéré comme simple outil de communication, comme nous l’avons signalé plus haut, c’est probablement une évolution ou une tendance que nous traversons depuis plusieurs décennies qui renvoie à un sentiment général de solitude dépressive circulante (au moins dans les « sondages »), que reflète le succès addictif des réseaux sociaux, à la perte de sens et la difficile construction de l’altérité…Discours publicitaire, pensée opératoire discours de pure communication qui s’est emparé du monde en l’irradiant par médias interposés. Insistons sur cette image ; avec le langage, nous sommes au cœur de « l’infiniment petit » où s’organise la pensée. Le pouvoir des mots…
[41] Il est possible d’en rapprocher ce à quoi fait allusion Winnicott dans son : « L'imprévisibilité signifie qu'ils s'attendent continuellement à vivre une situation traumatique et qu'ils cachent la partie centrale sacrée de leur personnalité quelque part où rien ne peut ni lui faire du bien, ni lui faire du mal ». Un coup d’œil peut-être sur les « retirants sociaux ». Ces précisions, sur la façon de penser de Winnicott me paraissent utiles pour imaginer et se situer dans la rencontre souvent difficile avec certains enfants « maltraités ». Cela touche à « l’intime ». En attente de prochains développements autour de cet étrange voisinage de la notion de l’intime avec le « commandement » (intimer un ordre) et l’originaire.
[42] Impossible de développer l’origine du succès récent (20 à 30 ans) de ce terme « parcours » dans le contexte de la rationalisation des dépenses de santé par les assurances américaines.
Mais c’est un terme intéressant pour peu que l’on considère qu’il n’existe que parce qu’on en parle.
[43] Et le deuil des imagos parentales, spécifiques de la période de l’adolescence.
[44] On pourrait même faire un détour sur le questionnement des destructions et des incivilités dans la société, souvent en réponse à une atteinte à la vie d’une personne. Simple esquisse pour une réflexion, qui analyse les évènements (qui se répètent) individuellement ou socialement comme des symptômes non pas au sens d’une maladie mais au sens de formation de compromis, fidèle en cela à une certaine orthodoxie psychanalytique.
[45] On comprend que l’affirmation du droit des parents posés dans l’abstraction de leur principe juridique constituent une espèce de contrefeu à ce risque d’anonymisation. C’est typiquement et souvent une réponse qui prend des allures idéologiques et qui de ce fait perd souvent toute référence avec la situation concrète, d’emprise et de maltraitance. Un chantier à ouvrir autour de la question de l’évaluation des compétences parentales et de l’implicite du cadre juridique et de ses usages...
[46] Je pense aux enfants tyrans.
[47] L’usage aux fins diagnostique de la théorie de l’attachement tellement riche par ailleurs de concepts et de représentations du monde perdu de l’enfance, est devenu une sorte de fourretout. J’exagère peut-être un peu ?
[48] Cela à voir avec l’acception du terme de « loi » très polysémique ; à mettre au travail
[49] C’est une question très complexe que ce concept de topos. Il a une acception particulière en mathématique, (Grothendieck) relativement inaccessible mais le mot est joli ! On peut en rester à un concept d’espace auquel serait associé une idée dynamique et historisante, non totalement séparable de l’expérience, c’est-à-dire pas coupée complètement de ce qui lui a donné naissance ; il me semble que c’est de cela dont nous parlons ; une piste essentielle pour construire des outils de travail dans le domaine spécifique de l’enfance protégée voire une clinique de l’agir à relier peut-être à l’idée de trauma.
[50] Cette capacité de rêverie, Bion l'attribue à la mère qui va ainsi jouer le rôle de « fonction alpha » pour aider son nourrisson à transformer ses éléments psychiques bruts qu'il nomme éléments bêta. Par extension cette fonction est attribuée à tout un chacun...et bien sûr aux professionnels de la protection de l’enfance et du soin. Fonction qui irrigue les pratiques des professionnels, dans le champ de l’enfance, mais pas seulement. Mind Wandering traduit comme déambulation mentale permanente.
[51] Et cette inconditionnalité ne peut être levée que par celui qui l’a posée… Autrement dit cette décision pose un cadre institutionnel, (organise la métaphore d’une origine ou d’un commencement) que la référence de parcours va porter et la référence de proximité va mettre en œuvre.
[52] Ça n’a échappé à personne : j’ai une relation « transférentielle » encore très active avec Winnicott ; sans doute l’ombre de grand ’pères disparus. Accepter de ne pas comprendre vivre la rencontre avec des personnes comme autant d’énigmes, est une façon d’exprimer quelque chose de leur dignité et de la nôtre.
[53] Une anecdote : Arrive dans un dispositif de la protection de l’enfance un jeune adolescent après une dizaine d’années passées dans une famille d’accueil qui se serait terminé brutalement sans mots, sans dossier, sans trace, avec un retour à Paris dans sa famille qu’il ne connait pas et très précarisée.Le contact sans être mauvais est très distant et son éducatrice référente est en difficulté. Quelques semaines plus tard, il demande à rendre visite pour une semaine à sa famille d’accueil. Le voyage s’organise et l’éducatrice appelle le jeune, le soir même, « pour demander s’il est bien arrivé ». Le jeune adolescent est surpris de cette attention précisant explicitement son étonnement.
Le travail de la référente a pu commencer ; les échanges deviennent plus denses le recours à elle plus « naturel ». No comment